mardi 19 novembre 2013

Le 141e RIA régiment de Marseille

Colonel Granier
La France a été vaincue, non pas tant parce que son armée manquait de chars ou d'avions, que parce que la Nation ne brûlait plus de cette flamme patriotique qui l'avait, jadis, sauvée aux grandes heures sombres de son Histoire... Et si, dans le désastre général, certaines Divisions, certains Régiments ont conservé leur esprit combatif, c'est parce que leurs Chefs avaient su leur créer cette âme collective, seule capable de susciter au sein de la « piétaille» les plus héroïques sacrifices : l'esprit de corps . 
Le 141e R.I.A. était, de ces régiments ... Fils de Provence, de Corse et du Languedoc, ses cadres et ses Alpins, unis par le cœur et par l'esprit, ne formaient, autour de leur Drapeau, qu'un seul bloc puissant, un bloc tout brûlant de cette flamme patriotique dont ses Colonels, ses Chefs de Bataillon, l'ardente jeunesse de ses cadres avaient su l'animer ... Du Colonel au dernier des Alpins, le numéro du Régiment sonnait comme une fanfare de ralliement... " A moi, 141 !" cri bien souvent entendu durant ces trente-cinq jours d'incessants combats, ou les sections encerclées appelaient ainsi les secours des sections de contre-attaque, pendant ces nuits de retraite ou l'on s'égarait ... Et c'est pourquoi sur le canal de la Somme, sur le canal du Nord, au Bois-le-Roi, sur la Loire, l'ennemi n'a jamais pu le chasser des positions qu'il avait mission de tenir ... Et c'est pourquoi, au jour de l'Armistice, malgré cette longue Bataille, ou il n'avait point connu de relève,  en dépit de cette retraite profonde, ou l'on marchait la nuit, pour combattre le jour, le 141e R.I.A. était encore un magnifique régiment, prêt a se battre et a se sacrifier.
Les Marseillais peuvent être fiers de leur Régiment. Comme je suis fier, moi, de l’avoir conduit au feu pendant cette dure Bataille de France… A tous ses cadres, a tous ses alpins  vont ma reconnaissance et mon affection…  Puissent-ils tous savoir que la joie d'avoir été leur Chef reste la plus belle récompense qu'ait jamais pu souhaiter mon âme de Soldat !

La drôle de guerre

Il faudrait la plume d'un Georges d'Esparbès, ou le stylo d'un Roland Dorgelès, pour écrire l'héroïque épopée du 141e R.I.A., ce beau Régiment de Provence, dont la Garnison, avant septembre 1939, était à Marseille. 
Ce Régiment, les Marseillais l'avaient acclamé lors de la Revue du 14 Juillet 1939, ils l'avaient applaudi sur la scène de l'Opéra de Marseille, ou, au bénéfice de sa caisse de secours, il avait donné une brillante représentation au cours de laquelle il avait illustré son histoire de merveilleux tableaux vivants. 
La Guerre 1939-1940 allait montrer que les Alpins du 141e R.I.A. étaient dignes de leurs anciens de la Grande Guerre. 
A la Mobilisation, le 141e R.I.A. est parti fièrement, stoïquement. Affecté d'abord à l'Armée des Alpes, il s'est installé en réserve du XVe Corps d'Armée, dans la région de Grasse, jusqu'en octobre 1939.


Aux avant postes  - Sur le Plateau de Forbach

Des ce moment, c'est un magnifique Régiment auquel son Chef, le Colonel MANHES, qui le commande depuis deux ans, a su communiquer son ardeur et sa foi ... Enlevé pour le Nord-est mi-octobre, il est introduit en secteur sur le plateau de Forbach, en avant de la ligne Maginot. Il demeure là quarante-cinq jours, en toute première ligne imposant sa volonté a l’ennemi et interdisant aux patrouilles ennemies l'accès des avant-postes français. 
Les pertes sont légères : c'est là pourtant que tombe le sous-lieutenant LAVAUD, dont l'héroïsme restera légendaire au Régiment. Fin décembre, le 141e, est relevé et la Division tout entière, la 30e vient au repos dans la région entre Laon et Soissons ou, pendant les jours d'hiver rigoureux, elle connaît une sévère mais profitable instruction ... tandis que l'œuvre de l'Orphelin du Front, de Marseille - Matin, vient, par les dons généreux de ses lecteurs, améliorer le bien-être de ces Méridionaux plongés dans le froid, la neige et le brouillard. 
C'est alors que le Colonel MANHES ayant été nommé Sous-Chef d'Etat-Major d'une Armée, le Colonel G. GRANIER prend le commandement du Régiment. Il vient d'exercer a Vence les fonctions de Chef d'Etat-Major auprès du Général OLRY, commandant le XVe CA. Le jeune et brillant Chef breveté d’état-major , qui a suivi les cours de l’école des maréchaux , non seulement intensifie l’instruction de son régiment déjà commencée par son prédécesseur mais il entretient la flamme qui brûle au cœur de tous les cadres et de tous les Alpins 
Au milieu de mars, avec la 30e D.I. Le 141e R. I. A. entre en secteur aux avant postes dans la région des Basses- Vosges immédiatement à l'Est de la région de Bitche ... 
La zone des avant postes dans cette région est a l’entrée en Secteur du 141 impunément parcourue par les patrouilles allemandes. 
Le 141 R.I.A. se donne comme mission d'interdire à ces patrouilles l'accès du territoire français et des avant-postes puis ce résultat obtenu, de marquer son ascendant sur l'ennemi en poussant à son tour des patrouilles dans les organisations allemandes. 
Il s'agit d’organiser le régiment en vue de cette mission. Pour battre l’estrade,tendre des embuscades, mener à l'ennemi une vie d'enfer, il faut des Chefs jeunes et enthousiastes, des gars durs au cœur bien accroché. Le Colonel GRANIER crée alors trois groupes francs, un par Bataillon, dont il confie respectueusement le commandement au Sous-Lieutenant GERVASY (1er Bataillon), au Sous-Lieutenant JOOS (2e Bataillon), au Sous-Lieutenant BATTESTINI (3e Bataillon). Ces trois groupes entraînés par trois Officiers pleins d'allant, font merveille, tendant de nombreuses embuscades, et finissant par pénétrer dans les lignes ennemies ... Au bout de trois semaines, le 141e R. I. A. est maître chez lui ... Quelques pertes aux barrages de mines, posés par l'ennemi, dont celle, pleurée par tout le Régiment, du Sous-Lieutenant COSTE, sont hélas la rançon de 1'héroïsme déployé par les alpins des groupes francs que de nombreuses et brillantes citations viennent justement récompenser.
Brusquement, le 12 avril, le régiment apprend que d'autres destinées l'attendent.  Le nom de Norvège est sur toutes les lèvres et les Alpins sont joyeux de courir sur les traces de leur ancêtre, le Phocéen .Pythéas, l'un des premiers navigateurs qui toucha la Norvège. Le régiment se prépare et se transforme dans la région de Brest pour son futur rôle dans le Septentrion. Il entre alors dans la composition d'une nouvelle Division, la 3e Division Légère d'Infanterie, commandée par un chef valeureux, le Général de Brigade DUCHEMIN. Mais les rêves d'aventures devaient bientôt s'évanouir. En effet, le 14 mai, le Régiment apprenait qu'il s'embarquait, par voie ferrée, à destination du Nord Est, et le 16, des trains militaires emportaient le 141e R.I.A. vers la Grande Bagarre.

Mai - Juin 1940 - Sur la Somme

Le 17 mai, le 141e R.I.A.. débarquait en partie à Plessis-Belleville, pour défendre Paris, puis, dans la nuit du 17 au 18, il était enlevé par camions automobiles et jeté sur le canal de la Somme, avec mission de tenir les ponts de Ham et d'interdire à l'ennemi le franchissement du canal de la Somme. 
« Un quart d'heure après son arrivée, le 2e Bataillon installé devant les deux ponts route de Ham livrait bataille et empêchait l'ennemi de s'en emparer. 
« Le train avait été poussé jusqu'à la Somme. 
« Le même jour, le 3e Bataillon débarquait à Chaulnes et était l'objet d'un sévère bombardement de l'aviation allemande à son débarquement : 4 officiers blessés, 6 alpins tués, 32 alpins blessés. 
« Le premier Bataillon venait à son tour s'installer sur le canal de la Somme, à la droite du 2e Bataillon, tandis que le 3e Bataillon, après son débarquement, mis à la disposition d'un régiment de la Division, reprenait le village de Voyennes à l'ennemi... » 
Ce ne sont plus maintenant qu'attaques par un ennemi mordant et contre-attaques d'Alpins décidés, qui font subir des pertes sévères à l'ennemi. 
Le 141 n'abandonne pas une parcelle des positions qui lui ont été confiées ... Le 5 juin, les Allemands lancent la puissante offensive qui va amener le repli général de l'aile gauche française ... Sur le front du Régiment, l'ennemi passe le canal à l'est de Ham, à la liaison entre le 140e R. I. A., second Régiment d'infanterie de la 3e D. L. I, et le 141e R. I. A. De vigoureuses contre-attaques montées par des Unités des deux Régiments, qui rivalisent d'ardeur, rejettent l'ennemi dans le Canal. 
Le 6 juin au soir, dans le secteur de la 3e D. L. I., l'adversaire ne conserve pas un pouce de terrain au sud du canal de la Somme, malgré les lourds sacrifices qu'il a consentis ... Au 141e R.I.A., les pertes, pour être légères, n'en sont pas moins douloureuses : c'est dans la journée du 5 juin que tombe héroïquement, au cours d'une contre-attaque victorieuse, menée par sa Compagnie, l'aspirant Pierre BONNEL, dont la mémoire restera chère au cœur de tous les alpins du Régiment.

Mais, a  la gauche de la 1e D. L. I, la 29e Division d'Infanterie Alpine, attaquée avec une violence inouïe par une masse considérable de chars, est taillée en pièces et submergée après une magnifique défense. Et le 6 juin, à 20 h 45, le 141e reçoit l'ordre de se replier vers le Bois de l'Hôpital. C'est la rage au cœur qu'il abandonne les rives du canal de la Somme et gagne les nouvelles positions qui lui ont été indiquées à la ferme de Houvrel ; il connaît là la plus dure journée de la Bataille. Sa mission était de résister sans esprit de recul. Attaqué à 10 heures par des forces, évaluées à deux Régiments, appuyées par des chars et une artillerie importante, soutenues par une aviation agressive, le 141e R. I. A., jusqu'à 15 heures, n'abandonne pas un pouce de terrain ... Mais les Allemands s'infiltrent de tous côtés ; le Régiment est menacé d'être encerclé. 
Le Colonel GRANIER qui avait reçu toute liberté d'action de la part du Commandement, se décide alors à un premier repli, sur une position à 5 kilomètres en arrière, (le repli s'effectue à 16 heures, comme à la manœuvre, dans l'ordre le plus complet, sans une perte). Attaqué de nouveau vers 17 heures, au trois quarts entouré, le 141e se maintient sur ses nouveaux emplacements jusqu'à 22 heures, heure à laquelle le Colonel ordonne un nouveau repli derrière le canal du Nord, repli qui s'effectue au milieu des villages en flamme et d'innombrables cadavres de chevaux d'artillerie, massacrés par l'aviation. Ce repli, le Colonel le fait couvrir par le Groupe de Reconnaissance Divisionnaire et quelques sections du Régiment, qui restent en place jusqu'au 8 juin,  3 heures du matin, et sont obligés de rompre le cercle de fer et de feu qui les entoure. La Section d'éclaireurs motocyclistes, commandée par un jeune instituteur, qui fut un splendide officier, le Sous-Lieutenant LANZA, est complètement entourée .. , LANZA met alors ses side-cars en colonne par deux sur la route, et se jette en avant à corps perdu, de toute vitesse de ses machines, faisant feu de tous ses fusils mitrailleurs, qui crachent la mort autour d'eux ... Rien n'arrête cet élan héroïque vers la liberté ou la mort; tous les obstacles sont franchis et la section moto rejoint le Régiment, le matin du 8 juin, dans la région de Thiescourt. 
Alors commence l'interminable retraite de 400 kilomètres,qui conduit les fils de Marseille, de Compiègne à la région S.-O. de Limoges. Le 141e  Régiment se bat à Crépy-en-Valois et au Bois-le-Roi. Il se bat sur la Marne, où il fait sauter le pont d'Esbly. Il se bat sur la Loire, où pendant trois jours, malgré de violents bombardements d'Artillerie et d' Aviation, malgré les envois de parlementaires allemands, il interdit à Sully-sur-Loire le passage du fleuve aux colonnes ennemies qui attaquent en forces ... Il se bat sur le Cher... Dans sa folle chevauchée, partout, et toujours, il fait front et impose à l'Allemand son ascendant. 

On recule parce que c'est l'ordre

Et lorsque le 25 juin, l'Armistice le trouve sur la voie ferrée de Chalus à Nexon, le Colonel peut dire à ses hommes : « Le 141 ,. garde la fierté de n'avoir jamais été battu par l'ennemi. » 
Quand, à la veille de venir prendre à Marseille le poste de Chef d'Etat-Major de la XVe Région auquel il vient d'être nommé, le Colonel GRANIER, le cœur serré passe son Régiment en revue ... c'est un beau Régiment de vainqueurs à l'œil fier, à l'allure dégagée qui défile devant lui, non un troupeau de vaincus, un Régiment toujours prêt à se battre, et qui, les larmes aux yeux, a déposé les armes. 
Vingt-sept Officiers, près de cinq cents Alpins avaient été la rançon de son héroïsme ! .. C'est en songeant au sacrifice de ces héros que, le 29 juin, au Hameau des Places, au cours d'une messe en plein air, présidée par Mgr RASTOUlL, évêque de Limoges, ancien prêtre du diocèse de Marseille, et ex-alpin du 141e R. I. A., Officiers, Sous-Officiers et Alpins s'inclinaient bien bas devant leurs camarades tombés et se juraient à eux-mêmes de travailler à refaire une France, forte, unie et prospère ... 
Telle est, brièvement racontée, l'histoire héroïque du 141 e R. I. A., au cours de ces trente-sept jours d'incessants combats. Raconter les prouesses individuelles, les actes d'héroïsme des groupes de combat ou des sections exigerait un volume ... Toutefois une journée restera pour le Régiment un journée de gloire sans tache, celle du 24 Mai.., Nous la retracerons d'après un rapport qu'a bien voulu nous communiquer le Colonel GRANIER : 
Journée du 24 Mai 1940

Aux bords du Canal de la Somme, la nuit du 20 au 21 mai avait été calme : coups de feu isolés, quelques patrouilles, quand a 03h 45, le 24 mai, une fusillade nourrie provenant des lisières Sud de Pithon se déclenche soudain sur le Pont du Chemin de Fer et sur quelques centaines de mètres, a l'est et a l'ouest du Pont, rasant les rives du Canal. Profitant de cette neutralisation et aussi du brouillard intense qui couvre la ligne du Canal et de la Somme, l'ennemi réussit a pousser, au delà du pont du Chemin de fer quelques éléments légers .. 
Tandis qu'à l'est du S.-Secteur se déroule cette action, brusquement, a l'ouest, à 4 h 45 sur le front du 2e Bataillon, vers la Sucrerie d'Eppeville, sans autre préparation que quelques tirs d'artillerie sur la Sucrerie, effectués de 4 h a 4 h. 45. L'Infanterie ennemie, passant le canal a l'aide de barques pneumatiques, effectue un débouché massif et brutal par une double manœuvre de débordement.  
La manoeuvre ennemie apparaît très claire : franchir le canal a l'est et à l'ouest de Ham, en vue d'enlever la ville et créer ainsi une tête de pont, qui permettra de mettre en place sur le canal des moyens de franchissement pour le passage des engins blindés ennemis. Ainsi, a 1 h. 50, le régiment est attaqué a l'est et a l'ouest de son front...

Dans son Ordre de défense n  603/C en date du 22 mai (1), le Colonel a affirme ainsi ses intentions : 
Tenir solidement et sans esprit de recul la rive S. du Canal de la Somme, et notamment les points de passage obligés : 
  •   les deux ponts route de Ham; 
  •  le pont du Chemin de fer 1 km. est de Ham, en vue d'interdire de façon absolue le franchissement du Canal aux engins blindés ennemis ;
« Contre-attaquer sans délai tout élément ennemi ayant franchi le Canal. » 
C'est sous le signe de ces intentions que va se dérouler la bataille du 24 mai. Cette bataille comporte deux actions concomitantes dans le temps, mais sans liaison effective dans l'espace. 
  • Action à l'Est de Ham, sur  le front du Ie/141e (Quartier AUBIGNY). 
  • Action à l'Ouest de Ham, sur le font du IIe/141e (Quartier HAM). 
Ces deux actions seront exposées successivement.

Action à l'Est de Ham

Grâce à la neutralisation opérée par la puissante base de feux allemands, entrée en action à 3 h. 45, grâce aussi à un brouillard épais, qui couvre tout le paysage, et malgré les feux de toutes les armes automatiques de la défense (feux non ajustés en raison du brouillard), quelques éléments ennemis particulièrement audacieux s'infiltrent au Sud du Canal, surtout à l'Ouest du Pont du Chemin de fer et, par des feux nourris, prennent à revers la Section d'Eclaireurs Skieurs du I/141e, ainsi que la Section de l'Adjudant-Chef HUGON; ces deux Sections, qui défendaient le Pont du ,Chemin de fer sont obligées de se replier légèrement vers l'Ouest (S.-E.-S.) et à l'Est (Section HUGON). 
L'ennemi se précipite alors en colonne par trois sur le Pont du Chemin de fer, aux cris de : «Heil Hitler! Rendez-vous ! ... ». Accueillie par le feu des armes automatiques, cette première ruée se disloque; mais les Allemands insistent, on entend à l'entrée Nord du Pont les commandements des officiers ; les Allemands reviennent en masse sur le Pont qu'ils tentent encore de franchir. Les feux des armes automatiques et les tirs d'arrêt très précis effectués sur le Pont et ses accès Nord par la 8e Batterie (Capitaine BIRKEL) du 4e Groupe autonome du 10e R. A. C. (Commandant PINELLO arrêtent net cette deuxième ruée. 
A 6 h. 30, la situation sur le front du Ier/141e est la suivante : la valeur d'une Compagnie allemande a franchi le Canal; mais le gros des forces allemandes n'a pu suivre. Un certain flottement apparaît chez l'ennemi. 

Il faut exploiter cette situation

Maintenant sur tout le front du Ie/141e, et notamment sur le Pont du Chemin de fer, des tirs lents, mais continus, dans le but de couper la retraite aux éléments ennemis passés au Sud du Canal, et d'interdire à l'ennemi le passage de moyens plus puissants, le Colonel donne l'ordre au Commandant du Ier/141e de contre-attaquer, en vue de rejeter l'ennemi dans le Canal et de réoccuper sur tout son front la rive Sud du Canal... Il met à cet effet à la disposition du 1er/141e une Section de Chars F. T. (Lieutenant CHAMBON), jusque là en réserve de S/Secteur, qu'il dirige dès 6 h. 30 de Brouchy sur Aubigny. 
La contre-attaque se déclenche à 8 h. 45. 
Elle est conduite par le Capitaine CHAMPEAUX, Adjudant-Major du Ier/141e disposant : 
  • de deux Sections F. V. (Section BOUHELY et Section LARROT) ; 
  • d'une Section de trois chars F. T. (Section CHAMBON). 
Elle est appuyée par les feux: 
  • de deux Batteries du 4e Groupe autonome; 
  • du Groupement d'action d'ensemble de la D.I.
  • des Sections d'Infanterie encadrantes ; 
  • des mitrailleuses et mortiers de 81 du Bataillon. 

A 8 H 45, la Section de Chars débouche du passage en dessus de la voie ferrée avec un cran qui fait l'admiration des fantassins. Les Sections BOURELY et LABROT suivent... Elle bouscule l'ennemi, qui est parvenu entre l'usine, le chemin de fer et le Canal et livre le terrain aux Sections BOURELY et LABROT, qui viennent occuper la rive Sud du Canal, à l'est et à l'ouest du Pont, tandis que la section d'éclaireurs-skieurs et la Section HUGON viennent, elles aussi reprendre leurs emplacements ... Puis, achevant sa mission; la Section de Chars, après être restée embossée quelques minutes à la sortie S. du Pont, qu'elle enfile de ses feux, se porte sur la partie Ouest de la voie ferrée pour nettoyer la ferme du Vert-Galant, les vergers au N.-O. et le terrain entre la terrasse et le Canal... A 9 h 3O, sa mission brillamment accomplie, elle gagne vers l'arrière son point de ralliement. 
Ainsi, à 9 h30, grâce au travail remarquable de la Section de Chars CHAMBON, grâce aussi aux tirs précis et nourris de l'Artillerie d'appui direct, et notamment de la 8e Batterie (Capitaine RIHKEL) du 4e Groupe, qui ne cesse son tir qu'après avoir été à peu près anéantie par la contre-batterie ennemie, le 1/141 avait réussi à reconquérir la totalité de ses positions, ramenant 10 prisonniers, s'emparant d'un butin important (mitrailleuses, mortiers, armes, équipements), reprenant une pièce de 75 anti-chars tombée aux mains de l'ennemi, et infligeant des pertes sévères à l'adversaire ... 
Le reste de la journée sur le front du I/141, n'est marqué que par des tirs violents et rageurs d'artillerie, qui causent peu de pertes au Bataillon. 

Action à l' ouest de Ham

Le dispositif du II/141 comporte le 24 mai à 4 h, de l'Ouest à l'Est: 
En ligne sur le Canal: 
  • une Compagnie de Tirailleurs, fournie par la 31e Cie du G.I. 93 bis, assurant la liaison avec le 140e ; 
  • la 7e Compagnie; 
  • la 5e Compagnie; 
  • la 6e Compagnie (liaison à l'Est avec le 1e/141). 
En soutien : 
  • sur la ligne de chemin de fer a l'Ouest et les débouchés Sud de Ham (au Sud et à l’Est) une Section de chacune de ces Compagnies. 
La ligne d'arrêt, définie par la côte 74 (800 m. N. de l'église de Muille-Villette) et le village de Verlaines, n'est pas occupée, faute d'effectifs disponibles. Elle doit l'être dès que le 3e Bataillon du 141e prêté au 140e R. I. A. depuis son débarquement à Chaulnes, sera remis à la disposition du Colonel. 
Le dispositif du IIe/141 est donc relativement filiforme et sans profondeur. 
Le 24 mai, à 4 h 50, sans autre préparation que quelques tirs d'artillerie sur la sucrerie d'Eppeville, l'ennemi débouche brutalement et en masse de la rive Nord du canal 
Son débouché est couvert par des nuages de fumée qui épaississent encore le brouillard existant, appuyé par le feu d'armes automatiques que l'ennemi a installées, dans la nuit, sur la rive Nord du canal. 
Les Allemands franchissent la Somme, en utilisant de nombreux radeaux et barques pneumatiques. Le feu de nos armes automatiques causant de sérieux ravages parmi les Allemands entassés dans ces radeaux et ces barques, l'ennemi amène sur la rive Nord de la Somme des engins blindés, qui ouvrent le feu. 
La Somme franchie, les Allemands entreprennent le passage du canal dans les mêmes conditions. 
Les tirs d'arrêt de l'appui direct aussitôt déclenchés, et le feu des F. M. et mitrailleuses exterminent le chargement humain de plusieurs radeaux ... 
Entre temps, les sections de soutien de la 5e Compagnie (passage à niveau de Ham) et de la 6e Compagnie (Vert- Galant) sont mises à la disposition du Commandant de la 7e Compagnie. 
Mais l'ennemi attaque avec de gros effectifs et la vague humaine est sans cesse renouvelée. 
Vers 6 h 30, l'ennemi obtient à la Sucrerie d'Eppeville un premier succès. La configuration de la rive Sud du canal (mur en ciment et pont du canal) entre la sucrerie et la passerelle de la Ferme Saint-Sulpice, crée un trou entre la section Maillié (passerelle) et la section Vigeox (sucrerie) ... A force d'effectifs, l'ennemi réussit à franchir le canal dans ce trou .. Son élan est brisé à la voie ferrée par les sections de renfort... Mais la section Maillié, isolée, et ayant tiré toutes ses munitions, doit se replier, le Lieutenant MAILLIÉ se fait tuer sur place avec quelques alpins. 
A cet instant (6 h 45), la situation est grave; l'ennemi a réussi à créer un trou sur la rive Sud du canal, il n'est plus contenu sur la voie ferrée que par deux Sections, déjà diminuées par les pertes. 
Dès 5 h 30, le Colonel a rendu compte au Général de Division de la situation, il a insisté, en particulier, sur l'absence de réserves derrière le IIe/141e et demandé qu'on lui rende au plus tôt le IIIe/141e. A 6 heures, la Division a fait connaître que sont mis à la disposition du 141e R. I. A. :
  • une nouvelle section de chars F. T.
  • l'escadron moto du G. R. D. 
Le Colonel demande que ces unités soient dirigées d'urgence sur Muille-Villette (P. C. du IIe/141). 
Il fait connaître ces intentions au Commandant du IIe/141. 
La Section de chars sera à la disposition du IIe/141. Le Colonel se réserve l'Escadron moto du G. R. D. qu'il installera sur la ligne d'arrêt à Verlaines, derrière la gauche du IIe'/141. 
Entre temps, l'ennemi a continué son effort, à 7 h 35, il a enlevé la Sucrerie d'Eppeville : le trou s'élargit vers l'Est. 
Le Colonel demande à la Division de hâter l'arrivée de l'Escadron moto du G. R. D. 
Pour retarder l'avance allemande, il déclenche à 7 h 42, un tir massif de la totalité du groupe d'appui direct et des deux groupes de l'action d'ensemble sur la Sucrerie. Ce tir ralentit, pour un instant l'activité ennemie dans la région de ]a Sucrerie. 
A 7 h 43, un compte rendu du 2e Bataillon fait connaître que la Compagnie des tirailleurs à gauche vient d'être enfoncée; la liaison avec le 140e est perdue ... le trou s'élargit vers l'Ouest. 
A 7 h 45, le Colonel dirige sur le IIe/141 la Section d'éclaireurs-motocyclistes du Régiment et la met à sa disposition. 
A 7 h 50, de nouveaux renforts sont demandés à la Division.
A 8 h 05, la Division fait connaître qu'une Compagnie du IIIe/141 et une S.M. transportées par camions, sont en route sur Muille-Villette. Délai probable d'arrivée : 1 heure. 
A 8 h 17, l'Officier de liaison du G. R. D. arrive au P. C. du Colonel. Le Colonel indique à cet Officier la mission qu'il réserve à l'Escadron moto ; l'Officier repart avec le Commandant BILLOT, Chef de l'E. M. du 141e qui a mission de mettre en place l'Escadron moto du G. R. sur ligne d'arrêt (Verlaines). 
A 8 h 20, le IIe/141 fait connaître sa situation, l'ennemi est maître de toute la rive Sud du canal, depuis la gauche du IIe/141, jusqu'à la Sucrerie d'Eppeville (incluse). Le IIe/141 tient la route Ham-Nesle au Sud du canal devant laquelle l'ennemi paraît pour 1 'instant arrêté à la suite de très fortes pertes qu'il a subies. 
A 8 h 30, le Colonel donne ses instructions au Commandant du IIe/141 : d'abord arrêter l'ennemi, soit sur la route Ham-Nesles, soit sur la ligue d'arrêt  Verlaine-Côte 74. 
A cet effet, utiliser l'Escadron moto du G. R. que le Colonel passe au IIe/141. 
Puis, le colmatage assuré, contre-attaquer au plus tôt, dès que la Compagnie du IIIe/141 sera à pied d'œuvre, ainsi que la Section de chars, en vue de rejeter l'ennemi dans le canal. 
A 9 heures, la Section de chars arrive à .Muille-Vîllette. 
A 9 h30, l'Escadron moto du G. R parvient à Verlaines. 
A partir de 9 h 45, l'ennemi renouvelle ses tentatives d'élargir la poche avec une ténacité qui ne se dément pas une seconde ; peu à peu, par d'incessantes petites actions de détail, que ni les feux de l'Infanterie, ni les tirs de l'Artillerie n'arrivent à enrayer les Allemands s'infiltrent entre la droite du 140e, qui s'est légèrement repliée, et l'Escadron moto du G. R D. (Verlaines). 
Il est 12 h 30 et la Compagnie du IIIe/141 annoncée n'est toujours pas arrivée. 
La situation s'aggravant, le Colonel prescrit au IIe/141 R.I.A. de contre-attaquer avec la Section de chars et l'Escadron moto du G. R. D. en direction du coude du canal de la Somme. La Compagnie du IIIe/141 dont la présence a Esmery-Hallon (3 kilomètres de Verlaines) est enfin signalée, remplacera !'Escadron moto du G. R. D. dans l'occupation de la ligne d'arrêt (VerIaines). 
La contre-attaque débouchera il 14 h 15, les éléments de droite du 140e appuieront l'action du IIe/141 par le feu et le mouvement. La 7e Compagnie, qui tient Eppeville, appuiera la contre-attaque de ses feux. 
Le groupe d'appui direct tirera de 14 h. à 14 h 15, entre le tortillard et le canal ; à 14 h. 15, il reportera ses feux sur le canal, entre le coude et Eppeville. 
Le groupement d'action d'ensemble tirera, pendant ce temps, sur la Sucrerie et les rives du canal au Nord de la Sucrerie. 
A 14 h 15, la contre-attaque débouche dans les conditions prévues. 
A 14 h 55, la rive Sud du Canal est reprise, toutefois la Sucrerie reste occupée par l’ennemi. 
De 14 h 55 a 17 heures, le Ie/141 procède au nettoyage de la Sucrerie. 
A 18 h 30. le IIe /141 a reconquis la totalité de sa position ; la liaison est rétablie au coude du canal avec le 140e. 

Apres l'armistice

La journée du 24 Mai se termine donc glorieusement pour le Régiment. L'attaque ennemie, menée, ainsi que les renseignements donnés par les prisonniers le démontrent, par un Régiment allemand tout entier, a complètement échoué. 
Le 141e R.I.A. a causé à l'ennemi des pertes très lourdes. 
Il a fait 47 prisonniers et pris un nombreux matériel.


 Ses propres pertes sont légères : 
  • 1 officier tué: Lieutenant MAILLIE (7e Compagnie) ; 13 alpins tués ; 
  • 1 officier blessé : Sous-Lieutenant GERVASY (lere Compagnie ; 
  • 24 alpins blessés ; 
  • 24 alpins disparus, dont il sera vérifié, quelques jours plus tard, que 7 ont été tués. 
Ces résultats ont été dus, sans aucun doute, à la valeur des Officiers, Sous-Officiers et alpins du Régiment, mais aussi  : 
  • à l'excellence du fonctionnement des transmissions qui a permis au Colonel d'être constamment renseigné, et, par suite, de prendre ses décisions en toute connaissance de cause ; 
  • à l'héroïsme des Batteries du 4e Groupe autonome d'Artillerie Coloniale, dont les batteries, contre-battues par des tirs précis et contrôlés par avions, ont cependant continué à tirer malgré de lourdes pertes; 
  • à l'action efficace des Sections de chars, menées par des chefs résolus et pleins de cran. 
Le Communiqué allemand du 25 mai disait: « Sur la Somme, nos troupes ont subi un échec, s'étant heurtées a des troupes françaises d'élite », 
Il est impossible de citer au Livre d'Or du Régiment tous les alpins qui comptaient au 141e R.I.A. Mais, si l'on songe qu'un Régiment vaut ce que valent ses cadres, il est d'une élémentaire justice de rappeler les noms des officiers qui ont eu l'honneur et la joie de mener au feu d'aussi braves gens.

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